Portrait d’Hélène Langevin-Joliot

Photo d'Hélène Langevin-Joliot

Copyright M. Lecompt / Université Paris-Sud

Elle fut une émouvante marraine de la cérémonie de remise des diplômes de doctorat de Paris-Sud en juin dernier. Elle appartient à une famille pionnière de la physique nucléaire dont elle est l’une des dignes héritières. Petite fille de Pierre et Marie Curie, fille de  Frédéric et Irène Joliot Curie, éminente scientifique elle-même, Hélène Langevin-Joliot plaide aujourd’hui pour que la science trouve une meilleure place dans la société.

La rencontre pouvait s’avérer intimidante, elle se révéla surtout passionnante. Car Hélène Langevin-Joliot ne s’est pas contentée d’être petite-fille et fille de. Passionnée, engagée, elle a mené sa carrière de physicienne nucléaire tambour battant, tout en défendant les  causes qui lui tenaient à coeur, militant contre l’usage du nucléaire à des fins militaires, plaidant pour faciliter l’accès des femmes aux carrières scientifiques ou encore pour développer la culture scientifique auprès du plus grand nombre.

De son enfance passée au sein d’une famille de scientifiques exceptionnels, Hélène Langevin retient la passion et le plaisir de faire de la recherche « j’ai été élevée dans cette idée que la science mérite d’être aimée et qu’il y a du plaisir dans les découvertes, si petites soient-elles », citant les paroles de sa mère Irène « la recherche scientifique est un domaine d’activité réconfortant du point de vue moral. Par le plaisir de la découverte, même si elle est de faible   importance, par le plaisir d’avoir surmonté les difficultés rencontrées, par le sentiment que toute connaissance nouvelle est définitivement acquise pour l’humanité».

Dans un tel contexte, c’est finalement assez naturellement qu’Hélène Langevin s’engage elle-même dans une carrière de chercheuse dans le domaine de la physique nucléaire alors en plein développement. « En 1957, le laboratoire de physique nucléaire où je venais de terminer ma thèse a déménagé à Orsay. J’ai donc été témoin et parfois même actrice de la  création du Centre Scientifique d’Orsay, premier acte fondateur de l’actuelle Université Paris-Sud ».

Une époque que la chercheuse qualifie d’assez extraordinaire, en termes de moyens consacrés à la recherche et à l’enseignement supérieur mais aussi en terme d’échanges et d’engagement. « Ma carrière scientifique s’est déroulée dans un contexte profondément différent de celui d’aujourd’hui. Je suis frappée par l’ampleur des transformations dans la manière de faire de la recherche et par le fait que les chercheurs aujourd’hui sont pris par tout un tas d’activités annexes à leurs recherches, qu’il s’agisse de la part accrue d’enseignement pour les enseignants-chercheurs ou plus encore de l ’augmentation
des tâches administratives ».

Et la chercheuse de déplorer tant la précarisation grandissante du statut de chercheur
que la mise en concurrence accrue des équipes les unes contre les autres. « Il n’est pas possible de n’offrir aux jeunes générations que la perspective de la lutte de tous contre  tous pour s’imposer. Il n’est pas possible de réduire la science au seul rôle d’outil pour la compétition ». On le voit, Hélène Langevin-Joliot ne manie pas la langue de bois.

Concernant la faible place accordée aux femmes dans les carrières scientifiques, la chercheuse s’insurge avec ironie « On sait que Marie Curie fut la première femme professeur des universités en 1908. On sait moins qu’Irène Joliot Curie, Prix Nobel en 1935, ne devint professeur titulaire qu’en 1949. Ni l’une, ni l’autre ne furent membres de l’académie des sciences. Dans ce domaine, on se heurtait aux traditionnelles objections avec cette question lancinante : les capacités intellectuelles des femmes seraient-elles
vraiment égales à celles des hommes ? Et bien ce point d’interrogation a été très  longtemps de mise ! ».

Mais de tous les combats qu’Hélène Langevin a menés et mène toujours, il en est un qui  lui tient particulièrement à coeur, celui de la place des sciences dans la culture générale et plus généralement des relations que la société entretient ou justement n’entretient pas suffisamment avec le monde de la recherche. La chercheuse a présidé de 2004 à 2012, l’Union Rationaliste, une association fondée en 1930 (sous l’impulsion notamment du
grand-père de son mari, le physicien Paul Langevin), « pour faire connaître dans le grand public l’esprit et les méthodes de la science ».

Dans un rapport récent et dont Hélène Langevin est co-auteur, l’association s’interroge sur la place que la science devrait avoir au 21ème siècle, dans la culture générale. On peut ainsi lire en introduction que « si le progrès scientifique et technique n’entraîne pas automatiquement le progrès de la société, il est clair que les changements à effectuer dans notre mode de développement nécessiteront plus de science au cours de ce siècle pour répondre aux besoins de 9 milliards d’hommes et de femmes (…) En contraste avec cette situation, la science a encore une place très réduite dans la culture des citoyens  d’aujourd’hui, y compris celle des « élites » intellectuelles et politiques. C’est une situation
dangereuse pour la démocratie et aussi pour le développement économique ».

Face à ce constat, Hélène Langevin a une conviction, celle de la nécessité impérieuse de renouer le dialogue entre les chercheurs et le reste de la société. « Contrairement à ce que l’on a pu penser à la fin du XIXème siècle, le progrès scientifique et technologique ne résoudra pas tous les problèmes de la société, en revanche il est certain qu’il engendre un certain nombre de conséquences qui peuvent être sources de grands progrès mais qui peuvent aussi avoir des conséquences plus négatives. En ce sens, il est primordial que les citoyens soient capables d’en comprendre les enjeux ».

Prenant l’exemple du GIEC, Hélène Langevin-Joliot plaide pour que puissent s’articuler sans se confondre deux types de débats ; des débats scientifiques qui fourniraient un socle de connaissances qui fassent consensus dans la communauté, avec des débats
démocratiques qui s’en nourriraient. Avec cette conviction chevillée au corps, « il y a une nécessité absolue à donner aux citoyens les meilleures chances de se mettre à raisonner à partir des faits de nature diverse contribuant à un évènement, sans se laisser submerger par les émotions ressenties ».