Médicament et société

L’importance économique majeure du secteur pharmaceutique dans les pays développés et singulièrement dans ceux de l’Union européenne commande une réflexion orientée tant vers les singularités très fortes du marché du médicament (offre et demande, conditions de concurrence, logiques industrielles et de santé publique) que sur sa régulation législative et règlementaire (fixation des prix, distribution, autorisations de mise sur le marché, responsabilité du fait des médicaments, comportements illicites), dans une perspective d’harmonisation nécessaire des droits internes avec les normes européennes.

Deux points de vue viennent illustrer cette thématique, le premier concerne l’étude de modèles psychologiques liés à l’usage prolongé de médicaments psychotropes, tandis que le second s’intéresse à l’évolution de la responsabilité juridique du producteur de spécialités pharmaceutiques.

 

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Vulnérabilité psychologique à la prise de médicaments psychotropes

L’usage des médicaments psychotropes (MP), particulièrement des benzodiazépines, dans les pratiques médicales est très controversé. Si à court terme, leur rôle thérapeutique est évident, leur utilisation prolongée peut avoir des conséquences délétères pour la santé des personnes. Or un tiers des consommateurs, essentiellement des personnes âgées, en ont une utilisation prolongée. Au sein de l’unité de recherche CIAMS – Complexité, Innovation et Activités Motrices et Sportives de l’UFR STAPS, nous nous intéressons aux modèles psychologiques qui peuvent constituer des cadres d’analyse de l’usage (prolongé) de ces médicaments.

Bien que le stress perçu par une personne détermine une (première) prise de psychotropes, leur utilisation prolongée (comme leur non observance d’ailleurs) semble également dépendre des attitudes des usagers à l’égard de ce type de pratiques thérapeutiques. Ces attitudes sont définies par les croyances des personnes concernant les conséquences liées à l’utilisation de ces médicaments et leur évaluation, positive ou négative. Par exemple, certaines études ont démontré qu’une utilisation prolongée de ces médicaments dépendait du contrôle comportemental perçu, défini par les croyances des personnes concernant la facilité ou la difficulté d’un arrêt ; des normes subjectives des personnes, définies notamment par leurs croyances relatives à ce que pensent les prescripteurs. Ce dernier point explique notamment pourquoi plus d’un consommateur sur dix déclare ne pas chercher d’informations sur les psychotropes et leurs effets dans la mesure où chaque personne semble faire  confiance à son prescripteur. Pour autant, au regard de l’influence des attitudes des usagers dans la prise de ces  médicaments, cette confiance envers les praticiens semble devoir se construire autour d’une prescription négociée pour un traitement délivré dans un accord partagé. Enfin, les quarante dernières années ont vu l’émergence d’un corps de littérature qui semble indiquer la présence de grands domaines de personnalité qui caractérisent l’intégration stable et individualisée d’un ensemble de comportements, d’émotions et de cognitions. L’apport des (pré)dispositions personnelles dans les modèles socio-cognitifs constitue donc une perspective intéressante en vue d’augmenter la connaissance des facteurs susceptibles d’engendrer une utilisation prolongée. Au final, il semble donc nécessaire de questionner l’hégémonie des modèles biomédicaux pour comprendre l’usage prolongé de médicament psychotropes : la dépendance ne peut se résumer à la « dépendance à la molécule », d’où l’intérêt de construire un modèle intégratif clarifiant les facteurs et processus responsables d’une vulnérabilité psychologique à la prise de substances psychotropes.

CONTACT
Thomas DEROCHE
Unité de recherche CIAMS – Complexité, Innovation et Activités Motrices et Sportives (PSUD, Université d’Orléans), thomas.deroche@u-psud.fr